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Pense bête
31 mai 2010

La Libération enfin...

Samedi 27 janvier 1945

Beaucoup de neige est tombée dans la nuit, il fait très froid quand le soleil se lève, les tirs s'éloignent vers l'ouest, quelques soldats soviétiques se positionnent devant l'hôpital parés de draps blancs avec la croix rouge, nous leur manifestons chaleureusement notre joie d'être enfin sortis du cauchemar : "fransouski", "da da", "niet niet", aucun Allemand ici. Ces six gaillards armés chacun d'une mitraillette, deux bandes de balles en travers du torse, inspectent tous les baraquements y compris les chambres des quelques vingt alités en souffrance, ils nous informent qu'à deux kilomètres les Allemands se défendent pied à pied dans l'usine, qu'il vaut mieux rester où nous sommes et qu'ils apporteront du pain, puis ils disparaissent.

Dans l'après-midi d'autres groupes de soldats russes passeront sur la route. Les discussions reprennent de plus belle sur notre évacuation. Des Polonais, des Juifs, des Français prennent la route avec leur mince bagage vers l'est : Gleiwitz et Cracovie, ils sont plein d'espoir dans la liberté retrouvée.

Nous sommes toujours sans nouvelle de nos trois camarades tués sur la route alors qu'ils allaient chercher du secours vers les lignes soviétiques, un jeune gradé russe parlant très bien français nous dit "qu'il ne fallait en aucun cas, en plein combat, risquer une telle aventure, les armées soviétiques ont perdu beaucoup d'hommes pour exterminer le nazisme en Europe, si des soldats russes ont tué des Français il y aura des sanctions", nous n'en saurons pas plus, notre évacuation vers l'est ne peut pas attendre car nous sommes toujours dans la zone des combats.

L'un des nôtres demande à ce jeune gradé s'il est possible de s'engager dans l'armée soviétique pour combattre les Allemands, c'est toujours possible, dit-il, cela existe déjà, il cite l'exemple de l'escadrille franco-soviétique Normandie-Niemen, mais il faut d'abord aller trois mois en Ukraine dans une caserne pour s'entrainer. Or, dans trois mois nous serons à Berlin et la guerre sera finie. Nous lui parlons de notre surprise d'avoir vu des femmes russes équipées et armées de la mitraillette exactement comme les hommes, il nous dit qu'en général, les femmes sont dans les services de santé, pour la circulation des camions et les renseignements lorsqu'elles parlent allemand, mais exceptionnellement, comme celles que nous avons vues, elles peuvent être en première ligne en invoquant le fait qu'elles ont perdu, au combat, leur père, leur mari ou leur fiancé. Il nous dit qu'elles sont redoutables et très courageuses.

Lundi 29 janvier 1945

Dans trois jours nous partons pour Cracovie en camion, nous pourrions être rapatriés par Odessa, en bateau par la Mer Noire, la Méditerranée et Marseille : quelle croisière ! Un Polonais, un Juif et un Ukrainien sont morts. Roulés dans un drap nous les enterrons sous la neige.

Quelques blessés russes se font panser, autour de l'hôpital, dans la forêt reposent des soldats allemands et russes raidis par le froid. Le gradé parlant bien français apprécie les efforts que nous faisons pour soigner les soldats blessés, un slogan lui est familier dans la lutte contre le nazisme "notre sang, votre travail". Nous faisons le maximum avec nos faibles moyens.

Mercredi 31 janvier 1945

Nous devons nous tenir prêts à partir d'un jour à l'autre pour Cracovie, en camion. On reparle à nouveau d'un rapatriement par Odessa.

Nous recevons du ravitaillement de l'hôpital d'Ehrenforst et du pétrole pour les lampes, un autre cochon est récupéré pour corser nos menus, un déporté d'Auschwitz nommé P. Levitan retrouve des forces, je le rencontrerai par hasard deux ans plus tard dans une rue de Briançon.

Les avions allemands, les stukas, attaquent les convois russes, la guerre continue, des Volksturmer seraient encore dans l'usine menant une résistance désespérée.

Samedi 3 février 1945

Venant d'Heydebreck des prisonniers français nous rejoignent, ils ont réussi à se cacher dans une cave, un commandant russe s'installe à l'hôpital, parlant bien allemand et français il apprécie noter comportement.

La motopompe est remise en état par les soldats ainsi qu'un groupe électrogène, l'eau et l'électricité. Quel confort !

Deux jeunes ukrainiennes doivent se cacher terrorisées par des soldats trop entreprenants. Six Juifs sont trouvés morts un matin dans leur lit, à bout de force, ils ont quitté ce monde sans bruit, mais quelle énergie avant le dernier souffle ! Dans les conditions courantes on n'imagine pas les réserves de volonté, la soif de vivre chez l'humain, alors que les forces physiques sont au dernier degré. Le regard interrogateur, les yeux immenses dans le masque squelettique semblent dire "pourquoi ?".

Nous sortons sans crainte maintenant, nous récupérons du camp des prisonniers français, des vestes, des pantalons et autres vêtements, il faut habiller des réfugiés parfois en haillons ou en costume rayé plein de vermine.

Les Soviétiques ont franchi l'Oder à Wroclaw (Breslau), ils vont atteindre les Sudètes et la Saxe en territoire allemand, à quel prix en jeunes vies ?

Sur le camp d'Auschwitz des propos horribles sont commentés. Avec P. nous décidons d'aller voir, à moins de deux kilomètres les tanks ont enfoncé les clôtures de barbelés, des soldats en faction nous laissent approcher juste le temps de voir une immense fosse, au fond nous comptons 96 cadavres d'hommes et de femmes juifs, dans une baraque proche 15 squelettes d'hommes décharnés sont pendus aux poutrelles métalliques, d'un geste de la main les soldats nous indiquent de partir, durant de nombreuses années ces visions d'horreurs inoubliables troubleront certaines de mes nuits.

Nous avons récupéré du matériel sanitaire, matelas, couvertures, vêtements à l'hôpital d'Erhenforst complètement abandonné, il était tenu par des sœurs polonaises.

Vendredi 9 février 1945 - Evacuation

Je me réveille avec une angine. Je passe en général à côté des ennuis de santé, mais avec notre environnement sanitaire bien précaire je mettrai plusieurs jours pour récupérer, le travail ne manque pas, heureusement il fait froid (c'est plus sain au plan sanitaire). Nous pouvons capter Radio Paris qui donne de bonnes nouvelles des difficultés de la Wehrmacht.

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