Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Pense bête
11 juin 2008

Rêver

Je viens de commence La Tyrannie de la réalité de Mona Chollet et j'y ai lu ça :

" Planté au milieu des autres qui vont et viennent, il semble fixer un objet aux pouvoirs hypnotiques, visible de lui seul. Il a les bras ballants, ou les doigts noués devant son ventre en un geste humble et machinal. [...] Il est si intensément absorbé par le film que lui projette sa conscience qu'il en oublie le spectacle qu'il offre à son entourage ; et les autres, à bon droit sans doute, s'en offusquent. Autour de lui, on lui donne des coups de coude, on l'apostrophe avec agacement, on le houspille. Le rêveur exsaspère et inquiète. Certains voient en lui l'image de ce qu'ils sont parfois eux-mêmes : le rejet qu'ils manifestent n'en est pas moins violent. D'autres, les yeux étincelants d'indignation, le toisent sans comprendre. Il représente à leurs yeux une incongruité totale, scandaleuse. Qu'en ont-ils fait, eux, des fantasmes à la puissance incontrôlée qui s'abattaient sur eux, enfants, et leur en faisaient voir de toutes les couleurs avant de se retirer en les laissant pantelants, la langue pendante ? Qu'ont-ils fait des extases quasi mystiques où les propulsait la grande révolution hormonale de l'adolescence, et de l'exaltation niaise et inestimable qui les accompagnait ? Ils les ont cadenassés dans un arrière-grenier, sans songer un instant qu'ils pouvaient leur servir pour la suite de bagages, de havres, de repères. Et, s'ils y ont songé, parents et professeurs se sont chargés de les y faire renoncer - pour leur bien, évidemment. Car le rêve, les adultes résument leur être à l'addition de leur rôle social et familial, et adoptent les comportements et les opinions les mieux à même de leur valoir la considération de leur entourage. Rien d'étonnant si le rêveur apparaît comme un fou : comment comprendraient-ils où il va chercher tout ça ?  Ils ont depuis si longtemps condamné les sentiers qu'il emprunte, qu'ils ont oublié jusqu'à leur existence.

Fou, il n’est pas exclu qu’il le soit effectivement. « Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent », écrivait Samuel Beckett. Le rêveur est de ceux-là, à l’évidence. Il a du mal à se faire accepter, et il faut bien reconnaître qu’il n’y met pas du sien. Sa socialisation est chaotique, douloureuse. S’étant trop attardé dans sa tour d’ivoire, il a manqué beaucoup d’épisodes, et se retrouve éternellement en porte à faux. Son en dedans, il le connaît comme sa poche, il l’a cultivé, mais son, en dehors, il peine à l’ajuster à celui des autres. Ses lubies et ses élucubrations embarrassent tout le monde : il tient des propos d’une grandiloquence déplacée. Le plaisir particulier qu’il prend au simple fait d’être en vie – même s’il donne parfois une impression illusoire de neurasthénie -, l’émerveillement inépuisable que lui procure sa propre capacité à respire, à aimer, à s’émouvoir, à penser, à créer, et même à souffrir, peuvent facilement le rendre d’une fatuité exténuante, voire d’un effarant égocentrisme, qui peuvent finir par taper sur le système des mieux disposés. Les autres, grâce à lui, se rengorgent, confortés dans leur propre sentiment de sagesse, de rectitude, et de conformité. Ils pensent être comme il faut, « dans la vie ». Les imbéciles. Ils ignorent qu’ils avancent à tâtons, que ceux qu’ils croient judicieux de suivre sont aussi perdus qu’eux ; et que le rêveur lui comme autrefois la pythie de Delphes, sait. […] Il lui suffit d’attendre, d’écouter ses intuitions, de laisser ses pensées suivre leur cours, son imagination vagabonder, ses sentiments décanter : à un moment donné, de manière inopinée – c’est parfois le matin, au réveil, mais pas toujours -, il sait. Une bribe de savoir s’est déposée en lui comme une pépite discrète sur le tapis de l’orpailleur ; il trace sa route en cheminant de l’une à l’autre.

Et puis, il ne faut pas grand-chose pour être heureux. S’il peut s’isoler de temps en temps, il est comblé ; mais ce n’est pas indispensable. Le décrochage intérieur, accompagné d’un petit spasme de volupté, par lequel il s’abstrait de l’univers commun, il l’opère aussi bien en société, à la moindre occasion. Il rêve n’importe où, n’importe quand. Il est autosuffisant. Lorsqu’il marche sur un trottoir, des fantomes ne cessent de venir à sa rencontre, de danser autour de lui, et il s’entretient avec eux le plus sérieusement du monde. "

A la première lecture je me suis plutôt retrouvé dans la description. Finalement plus je lis, moins j'en suis sûr. J'aime à penser qu'il y a un peu de vrai dans ma première impression...

Publicité
Publicité
Commentaires
S
C'est exactement toi, mais seulement quand t'es bourré Damien...
Répondre
Publicité