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Pense bête
12 octobre 2018

Individualisme écologique

Depuis quand a-t-on renoncé au collectif, à faire société* ? La lutte contre le dérèglement climatique (et plus largement, contre le capitalisme) me semble réduite à ça : une somme de combats individuels, de gestes du quotidien tellement en-deçà de l'objectif à atteindre qu'elle ne peut qu'être vouée à l'échec.

Pendant qu'on cherche à consommer bio, à trier ses déchets et faire son compost, à utiliser son vélo plutôt que sa voiture, 100 entreprises sont responsables de plus de 70% des émissions mondiales de carbones. Total arrive au 19ème rang.

Alors la lutte contre le capitalisme se transforme en une compétition entre individus pour savoir celui qui aura le comportement le plus écologique tout en critiquant les actions supposées non écologiques de l'autre.

Et en même temps, qui suis-je pour critiquer ces formes de militantismes ? Bon... oui ce ne sont pas (complètement) les miennes, mais au vu des enjeux, tous les combats ne sont-ils pas bon à prendre ?

L'AFP présentait début octobre des graphiques indiquant les émissions de CO2 de nos activités individuelles :

EmpreinteCarboneAFP

Le tweet était sobrement intitulé "Quelques moyens pour réduire son empreinte carbone". On aurait aimé voir le même tweet avec des exemples plus "globaux" (stopper le forage en Guyane, planter x arbres, développer x km de pistes cyclables, habiter en logement collectif plutôt qu'en logement individuel...), histoire de comparer les "petits pas" individuels avec les gros pas qui comptent.

Et quitte à modifier les comportements individuels, commençons par faire modifier ceux des plus riches. C'est une des leçons d'une étude Ipsos sur plus de 2000 personnes : "Les foyers disposant des niveaux de revenus les plus élevés affichent en moyenne les bilans carbones les plus mauvais".

L’impact désormais important des voyages en avion sur le bilan carbone des foyers
Le bilan carbone global moyen des ménages mesuré par l’Observatoire se situe aujourd’hui à environ 7 388Kg Co2 par individu. Le poste transport constitue à lui seul plus de la moitié des émissions des foyers (54%, soit 3 972 Kg Co2 par individu), loin devant le logement (30%) et l’alimentation (16%). L’usage des véhicules personnels est à l’origine de la très grande majorité des émissions de C02 au sein du poste transports (79%). Les transports en commun ne comptent que pour 1% d’entre elles. La grande surprise réside dans l’importance des émissions liées à l’avion : elles pèsent aujourd’hui 19% des émissions totales du poste transport. Elles sont cependant très inégalement réparties au sein de la population.
Les 18-24 ans et les plus de 65 ans ont les bilans carbones les plus élevés
Le niveau d’émission des plus jeunes est de 8373 Kg Co2 chez les plus jeunes. Le niveau d’émission atteint son plus bas niveau sur la tranche d’âge 35-44 ans (6028 Kg Co2). Entre la tranche d’âge des 45-54 ans et celle des 55-65 ans, le niveau d’émission augmente en moyenne de 2171 Kg Co2. Auprès des 65 ans et plus, il augmente encore pour atteindre 9092 Kg Co2. L’usage du véhicule individuel chez les plus jeunes et la dimension des logements et des transports loisirs (avion) chez les plus âgés en sont les premières causes.
Une personne vivant seule émet trois fois plus de Co2 qu’une famille nombreuse
Les foyers d’une personne affichent aujourd’hui un bilan carbone très élevé de 10 685 Kg Co2 par individu (contre 7388 Kg Co2 pour l’ensemble de la population) alors qu’il est bien plus bas pour les foyers de 3 et 4 personnes (respectivement 5436 et 4612 Kg Co2 par individu), voire de 5 personnes et plus (3221 Kg Co2). Le fameux troisième enfant n’entraîne ainsi pas une hausse sensible des émissions des ménages.. A l’inverse, les personnes seules représentent 55 % des mauvais bilans carbone (11849 Kg Co2 et plus)
Le type d’agglomération où le bilan carbone est le moins fort : entre 100 000 et 200 000 habitants
Plus la taille de l’agglomération est faible, plus le niveau des émissions de Co2 tend à augmenter : L’impact des usages liés à l’automobile y est légèrement plus important (84% pour les individus habitant dans les agglomérations de moins de 20 000 habitants contre 82% pour celles de 20 000 à 99 999, 81% pour celles de 100 000 à 199 999 habitants et seulement 72% pour les plus grosses, celles de 200 000 habitants et plus). Le bilan carbone des foyers habitant dans les plus petites catégories d’agglomérations (moins de 20 000 habitants) est le plus élevé : 4352 Kg Co2 contre 3495 Kg Co2 pour celles comprises entre 100 000 et 199 999 habitants. Malgré un impact moindre des usages liés à l’automobile, les plus grosses catégories d’agglomérations affichent aujourd’hui un bilan carbone très légèrement supérieur à celui des agglomérations comprises entre 100 000 et 200 000 habitants, principalement dû l’usage accru de l’avion dans les plus grosses agglomérations.
Les foyers disposant des niveaux de revenus les plus élevés affichent en moyenne les bilans carbones les plus mauvais
La quantité de CO2 est clairement croissante avec le niveau de vie et plus spécifiquement avec la capacité à consommer des loisirs. Le bilan carbone par individu est notablement plus élevé au sein des foyers des cadres supérieurs (8580 Kg Co2 par individu contre 7388 Kg Co2 pour l’ensemble). Ils affichent notamment une nette différence dans le domaine des transports avec des niveaux d’émissions sensiblement plus élevés (5249 Kg Co2 par individu contre 3972 Kg Co2 pour l’ensemble). Les cadres supérieurs et les retraités alourdissent leur bilan carbone par l’usage fréquent de l’avion pour leurs loisirs : 59 % des cadres supérieurs et 40 % des retraités font au moins 1 voyage en avion au cours de l’année. L’avion pèse ainsi 38 % des émissions transport des cadres supérieurs et 31% de celui des 65 ans et plus.
Précarité énergétique : les retraités et les cadres supérieurs à l’abri, les ouvriers et les ménages modestes surexposés
Les ménages les plus modestes (moins de 1250 euros nets mensuels) ont les bilans carbones les plus faibles par rapport aux autres catégories de revenu. Les ouvriers, sont aussi les plus exposés à la hausse du prix de l’énergie : leur indice de précarité énergétique s’élève à 1089 KgCo2/K€ (ouvriers) contre 704 KgCo2/K€ pour les cadres supérieurs et 663 KgCo2/K€ pour les retraités. On peut lire ici une source d’inégalité carbone majeure : les populations ayant les bilans carbone les plus élevés sont aussi les moins sensibles à l’augmentation du coût de l’énergie.
La sensibilité environnementale individuelle a aujourd’hui encore un impact modéré sur le bilan carbone des foyers
Sur les 16 affirmations qui leur étaient proposées afin de mesurer leur sensibilité aux problématiques environnementales (portant sur l’état de la planète, le réchauffement climatique, l’impact environnemental des produits de consommation, le tri,..), 13 d’entre elles recueillent un assentiment majoritaire. Le lien entre sensibilité environnementale et niveau d’émissions de CO2 est avéré mais reste aujourd’hui encore très modéré. Il y a très peu de différences entre les niveaux d’émissions des personnes ayant une sensibilité « médiocre » et celles ayant une sensibilité « moyenne » (respectivement 7555 et 7479, soit seulement 76 KgCo2 de différences). Les personnes affichant un « bon » niveau de sensibilité environnementale ont certes un meilleur bilan carbone que celles ayant une sensibilité « moyenne » mais là encore, la différence est peu importante (7066 Kg Co2 par individu).
Les actions dans lesquelles les ménages sont les plus prêts à s’investir pour diminuer leur niveau d’émissions de Co2 : d’abord le poste logement
D’abord des gestes et des investissements au sein du poste logement (équipements et énergie). Ils citent en priorité ceux permettant de réduire l’impact environnemental des équipements comme par exemple éteindre les appareils plutôt que de les laisser en veille (39% pourraient s’engager à le faire systématiquement ou presque) ou encore acheter des produits en fonction de leur étiquette énergie (38%). Le potentiel des gestes permettant de diminuer la consommation d’énergie et d’eau est aussi relativement important. Ils sont plutôt bien connus des personnes interrogées. Ils citent en priorité le fait d’éteindre les lumières dès qu’ils quittent une pièce (39% pourraient s’engager à le faire systématiquement ou presque – 56% disent déjà le faire) et l’utilisation des ampoules basse consommation (34% - 46% disent déjà le faire) ou de réducteurs de débit pour l’eau ou encore la diminution de la taille de la chasse d’eau (30%).
Fiche technique :
L’enquête a été réalisée du 26 mai au 3 juin 2010 auprès d’un échantillon de 2036 personnes, constituant un échantillon national représentatif de la population des foyers français. La représentativité de l’enquête est assurée par la méthode des quotas (sexe, âge et profession du chef de famille, taille du foyer, catégorie d’agglomération et région).

Des éléments de cette étude permettent en particulier de se rendre compte du peu de pouvoir de l'individu sur la lutte contre le dérèglement climatique. On note en effet que le bilan carbone moyen d'un individu est de 7 388Kg CO2. Ce chiffre peut varier de 7 555 kg CO2 pour un individu ayant une sensibilité "médiocre" aux problématiques environnementales à 7 066 kg CO2 pour un individu ayant une "bonne" sensibilité (et qu'on peut donc supposer avoir un comportement "écologiquement responsable" en consommant bio, en utilisant davantage les transports en communs...). Autrement dit le comportement écologiquement responsable d'un individu apporte un gain de 489 kg CO2, soit autant que 3 vols transatlantiques A-R (d'après le graphique de l'AFP).

Quelques chiffres pour avoir des ordres de grandeur d'émissions CO2 :

Capture du 2018-11-08 20-48-54

Capture du 2018-11-08 20-49-15

Alors c'est bien gentil de nous emmerder avec les gestes du quotidien, le "ça commence par moi" mais il ne faudrait pas en oublier que les mobilisation collectives et l'action politique, parfois, ça paie. On en a eu quelques exemples récemment : l'abandon du projet de Notre Dame des Landes ou celui de l'autoroute A45, le maintien de la ligne ferroviaire de l'étoile de Veynes (avec l'appui d'élus de gauche) ou de celles du Cévenol et de l'Aubrac.

Donc oui aux mobilisations collectives, oui à l'action politique. A nous de devenir le premier lobby, un lobby citoyen. Sans nous tromper de combat pour autant, sans tomber dans un écofascisme qui nous ferait choisir le mépris de celui qui achète en ligne par commodité à la lutte contre ces multinationales qui éloignent les lieux de production des lieux de consommation ou le mépris de celui qui mange du boeuf à la lutte contre ces pouvoirs publics qui signent des accords de commerce non climato-compatibles (à dérouler) :

Donc oui à la lutte sans merci contre cet ennemi qu'on oublie aussi trop vite : le capitalisme. Et avec toutes les armes à notre disposition.


* J'avais lu il y a quelques années dans le Monde Diplo un article que je n'ai jamais retrouvé et qui faisait le lien entre notre incapacité à partager des chants en groupe et notre incapacité à faire société.


Je profite de ce post pour signaler 2 émissions du Média qui m'ont agréablement surpris et fait réfléchir.

La première s'intitule Transition, piège à cons et donne la parole à Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences des technologies et de l'environnement et chercheur au CNRS. Il y aborde l'histoire des transitions énergétiques, pour montrer qu'il n'y en a jamais eu, et que le combat à mener n'en sera que plus difficile (et stimulant).

La seconde s'intitutle Villes en transition. Elle donne la parole à Dominique Gauzin-Müller (architecte-chercheure, membre de l'association Negawatt et professeur à l'école d'architecture de Strasbourg) et fait entre autres réfléchir à la place de la voiture (et donc de la chaussée) en ville, à l'avantage écologique de l'habitat collectif sur l'habitat individuel, à l'impact du végétal...

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