Vienne

Fin 1952, je suis délégué des Hautes-Alpes au Congrès des Peuples pour la Paix à Vienne, en Autriche.

Une grande animation règne à la gare de l'Est pour le départ de la délégation française, durant le trajet les conversations sont très animées, entre délégués et invités, écrivains, artistes, scientifiques : Frédéric Joliot-Curie, Fernand Léger, Jean-Paul Sartre, Yves Farge, Aragon, Elsa Triolet, le pasteur Niemoller (qui s'opposa constamment Hitler), Pablo Neruda, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Emile Zatopek et tant d'autres, de tous les pays (85) sont représentés par 1904 délégués plus les invités réunis durant dix jours dans les belles salles du KonzertHaus. Chaque délégué disposant d'un pupitre traduisant sept langues.

C'est Frédéric Joliot-Curie qui préside la première séance, les interventions commencent tôt et finissent tard, parallèlement se déroulent dans les salles annexes de nombreuses rencontres.

Les délégations soviétiques, françaises, chinoises et indiennes sont les plus nombreuses.

Une rencontre dont je garde un souvenir marquant est celle de notre délégation avec la jeune et enthousiaste délégation vietnamienne, les larmes aux yeux nous les écoutons nous conter leurs souffrances, les bombardements, les tortures qu'ils subissent du fait de notre armée, le ton est simple sans haine, ils savent que l'opinion française veut la paix, ils nous disent leur joie, leur confiance de nous avoir rencontrés, leur détermination dans leur volonté de libérer leur pays, quels que soient les sacrifices, nous impressionne, nous nous engageons à redoubler d'efforts pour mettre fin à la guerre.

Le gouvernement Pinay vivement irrité de cette rencontre usera d'intimidation et de répression à l'encontre de la délagation française dès le passage à la douane au retour en France.

Le peuple vietnamien subira encore l'armée française deux ans jusqu'à Dien Bien Phu, hélas les USA succèderont à la France avant d'être battus à leur tour en 1975.

Après ces dix jours à Vienne d'intense activité, de rencontres joyeuses, émouvantes et pleines d'espoir, il faut revenir aux réalités du quotidien. Miette est restée courageusement à Briançon avec nos deux garçons, Laurent à trois mois, et une amie lyonnaise est venue apporter son aide durant mon absence. Le soleil est souvent présent dans le Briançonnais mais l'hiver est rude dans cette vallée de la Durance. C'est un froid sec, vivifiant et sain heureusement. Il faut se mettre à jour avec le travail et prévoir quelques salles dans le département pour les compte-rendu du Congrès. Les amis du Mouvement de la Paix règlent les questions pratiques, je me suis efforcé de réduire ces journées si riches au dialogue d'une soirée, l'atmosphère est amicale, les questions pleines de bon sens le plus souvent comme à Orpierre, près de Gap, où le maire honore la modeste réunion de sa présence.

A Briançon le 3 mars 1953 le compte-rendu du Congrès de Vienne se déroule au Casino, la plus grande salle de cinéma, le comité local du Mouvement de la Paix a bien préparé la séance : affiches, tracts, articles de presse et vente de cartes d'invitation pour couvrir les frais. Je ferai une heure de présentation, ensuite sera projeté durant quarante minutes un film d'Alain Resnais ^[1] (lequel était grand reporter avant de devenir un cinéaste mondialement connu). Le film s'appelait Ca ne peut plus durer et dénonçait les horreurs des guerres coloniales en Indochine, en Corée, ardent plaidoyer en faveur de la paix, ce film ne passe que dans les associations. Nous nous doutons bien que le passage d'un tel film dans une place militaire comme Briançon, où des soldats d'Indochine perturbés viennent se refaire une santé, va causer des remous en haut lieu, mais nos engagements impliquent des risques. La séance se déroule bien devant quatre cents personnes environs, ce qui est honorable pour une telle réunion, des questions pertinentes sont posées et les réponses appropriées sont données puis chacun rentre chez soi.

[1] Déficit de mémoire de la part du grand-père ? Le seul film intitulé Ca ne peut plus durer à l'intitiative du Mouvement de la Paix semble avoir été réalisé par Henri Aisner. On peut le voir ici.